DISPARITION
De notre correspondant : Bernard Le Nail
Publié le 23/11/08
AURAY — On vient d'apprendre la mort de l'écrivain Jacques Bertrand, surtout connu sous son nom de plume de Jean Markale, ce dimanche à l'hôpital d'Auray.
Né à Paris, dans le XIVe arrondissement, le 23 mai 1928, Jacques Bertrand se rattachait à la Bretagne par une de ses grands-mères, Jeanne Le Luec, née à Pluvigner en 1873, et une de ses grandes-tantes qui était religieuse, avait vécu quelques années à Bieuzy-Lanvaux, où il devait lui-même posséder plus tard une maison et faire de nombreux séjours.
Au cours de vacances d'été passées auprès de sa grand-mère bretonne, il avait découvert et pris en très grande affection le pays Vannetais. En 1945, il avait fait la rencontre d'un prêtre très original (et peu orthodoxe), l'abbé Henri Gillard (1902-1979), que l'évêque de Vannes avait nommé en 1942 recteur de Tréhorenteuc, la paroisse la plus isolée de son diocèse, qui ne comptait que 150 habitants; il allait y rester une vingtaine d'années et y consacrer une grande partie de son temps à exalter la légende arthurienne, voyant dans la forêt de Paimpont la légendaire forêt de Brocéliande... Jacques Bertrand allait rester très lié à l'abbé Gillard jusqu'à sa mort et s'affirmer en quelque sorte son successeur spirituel.
À 19 ans, Jacques Bertrand avait créé et animé, de 1947à 1952 : une revue poétique « Escales », en même temps qu'il adoptait le pseudonyme de Jean Markale, inspiré des mots bretons 'marc'h' (cheval) et 'kalloc'h' (entier), c'est à dire 'étalon'.
Après avoir obtenu son baccalauréat, Jacques Bertrand avait fait des études de lettres, obtenu une licence, puis il avait enseigné pendant 23 ans le français, de 1955 à 1978, l'École Massillon des Pères Oratoriens. En même temps, à partir de 1969, il était devenu producteur d'émissions de radio, puis de télévision, s'y révélant un prodigieux conteur, et il avait bientôt quitter les potaches de l'enseignement secondaire pour ne plus vivre que de ses émissions, de ses conférences et surtout de sa plume.
Sa production aura été depuis 40 ans tout à fait considérable puisqu'elle dépasse la centaine de titres, avec des tirages souvent impressionnants. Il aura abordé les sujets les plus divers : « Monségur et l'énigme cathare », « Gisors et l'énigme des templiers », « Carnac et l'anigme de l'Atlantide », « Brocéliande et l'énigme du Graal », « La Bastille et l'énigme du masque de fer », « Rennes-le-Château et l'énigme de l'or maudit », « L'énigme du Triangle des Bermudes », « Le Mont Saint-Michel et l'énigme du dragon », « L'énigme des vampires », « L'Atlantide et ses secrets », « Les mystères de la sorcellerie », « Halloween », « Amour et sexualité chez les Celtes », « Les Mystères de la sorcellerie », « Les Mystères de l'après-vie », sans compter de nombreux ouvrages sur les Celtes, sur les Druides et sur la matière arthurienne. Il avait aussi réécrit à sa façon le cycle du Graal.
Fort contesté par le monde savant, en particulier par les universitaires et par les Celtisants (qui lui reprochaient notamment de se poser en grand spécialiste des cultures celtiques alors qu'il ne connaissait lui-même ni le breton, ni le gallois, ni l'irlandais et n'avait accès aux grands textes celtiques qu'à travers des traductions réalisés par d'autres en français et en anglais), Jean Markale entendait faire œuvre de vulgarisation auprès d'un large public populaire, mais il était loin de faire l'unanimité et Michel Le Bris avait lui-même dénoncé publiquement à son propos dans les colonnes d'un grand quotidien régional « un celtisme de pacotille ». Jacques Bertrand et son éditeur avaient aussi été accusés de plagiat en 1989 quand ils avaient fait paraître le « Guide de la Bretagne mystérieuse », reprenant ainsi le titre, la présentation et une bonne partie du contenu d'un livre de Gwenc'hlan Le Scouëzec, publié dix ans plus tôt. L'affaire avait fait alors grand bruit.
Du fait de l'engouement d'un large public en Europe et en Amérique du Nord pour les anciens Celtes, de nombreux livres de Jean Markale furent traduits en d'autres langues, dont l'anglais, l'italien, l'allemand et l'espagnol. Son plus grand succès en France et à l'étranger devait être « La Femme celte », un livre de 412 pages publié par Payot en 1972 et maintes fois réédité en français : en 1973, 1976, 1984, 1992 et 2001. Publié en anglais à Londres sous le titre « Women of the Celts », puis aux États-Unis en 1986, il allait connaître un grand succès international et être publié en une vingtaine de langues, atteignant un tirage cumulé, toutes éditions confondues, de plus d'un million d'exemplaires. Dans ce livre écrit à la suite des événements de mai-juin 1968 en France, Jean Markale affirmait que, chez les anciens Celtes, il régnait une véritable égalité entre les femmes et les hommes dans la plupart des domaines, et qu'elle constituait une des différences fondamentales entre la civilisation celtique et la civilisation romaine. Celle-ci s'étant imposée en Europe et ayant subverti le christianisme, les femmes avaient été relégué pendant des siècles dans un statut d'infériorité insupportable. Le mouvement féministe était alors en plein essor et la plupart des journaux et magazines allaient faire un triomphe à ce livre.
Très fatigué et connaissant depuis quelque temps de graves problèmes de santé, Jacques Bertrand/Jean Markale avait été hospitalisé à Auray et, selon son proche entourage, il avait été très profondément affecté, il y a huit jours, par la disparition de l'écrivain Charles Le Quintrec auquel le liait une vieille amitié.
Les deux derniers livres de cet auteur auront été en juin une « Histoire de la Bretagne » de 400 pages parue aux éditions Pygmalion et, en octobre, « Prodiges et secrets du Moyen Âge », un livre de 345 pages paru chez Lattès. ■
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