lundi 30 juin 2008

L'urgence nationale bretonne

L'urgence nationale bretonne par Houarneg Ar Meur

Une heureuse initiative a été prise par le Dr Louis Mélennec, celle de remettre sur les rails le parlement de Bretagne. Une initiative réaliste mais qui ne saurait être un préalable. Si l'on en juge par la démarche sous jacente de ce projet, il s'agit grosso modo de faire exister une Bretagne politique via une légitimité juridique et historique que sont les traités d'union de la Bretagne à la France. C'est une position qui intellectuellement est raisonnable, consensuelle, très certainement pertinente, mais également insuffisante. Cette insuffisance cependant n'est pas à mettre au compte du docteur Mélennec qui, en patriote breton, entend d'abord et avant tout replacer l'idée bretonne dans l'espace et le temps afin de lui donner une dimension concrète et un poids international, pour la sortir du marais stérile qu'est devenu l'Emsav. Ce désir d'exhiber les revendications bretonnes sous le sceau du droit existe depuis longtemps, très longtemps et vise à rendre acceptable par le public largement francisé l'idée que l'originalité bretonne n'est pas une rupture, mais une composante particulière du corps civique français en sus d'opposer à la technocrature française une revendication bretonne ayant l'aspect du sérieux, ne sentant ni le biniou ni l'écologisme baba-cool de quelques égarés.

Cette idée trouvera certainement un écho chez les fédéralistes ou les autonomistes pour qui la Bretagne se résume à une réforme de la structure étatique française. Elle risque par contre de laisser dubitatifs les idéalistes-nationalistes dispersés qui eux paradoxalement ne pêchent pas par naïveté. L'argument principal de Louis Mélennec est bien la légitimité. Il vise à remettre la France face à une réalité juridique internationale qui la coupe de fait de sa propension à justifier son autoritarisme népotiste par des délires abstraits pseudo-philosphiques. 

Les fédéralistes ou les autonomistes passent leur temps à cribler les défauts du système français. Très souvent leurs analyses sont pointues et mériteraient une large publicité. Mais ils ne tirent pas la conclusion de leurs études: ils persistent dans l'illusion réformiste. Ce n'est pas la véracité des faits qui compte lorsque l'on brave la république. La république prétend détenir la Vérité. Soumise à une critique elle se lance dans un travail de dialectique républicaine, aussi creux que redondant. Si par malheur le récalcitrant appuie son discours par des faits, l'état français pressé de répondre pratique alors un dialogue fort simple et très sain: celui du plus fort. A ce jeu là, peu de particulier peuvent affronter un état idéologiquement encadré, servi par des médias, une école, une justice, une police et des factions marqués du sceau de la complicité et du zèle.

Ces gentilles revendications bretonnes méritent une large diffusion, mais c'est revendiquer là, auprès d'une république qui a guillotiné Louis XVI, des comptes qu'elle a liquidé en même temps que ce bon roi. Louis Mélennec réclame un statut qui prévalait du temps de la monarchie à une République qui l'a abattu sans s'embarrasser de procédures. Les royalistes aussi pourraient réclamer la réouverture du procès de Louis XVI, sa réhabilitation et de fait la restauration d'une monarchie constitutionnelle en France. Mais pour connaître la république, ils s'épargnent ces efforts inutiles. La République se fiche du droit international ou de la simple justice comme elle l'a prouvé si souvent: sa loi est mystique et millénariste, elle se justifie par elle même et pour elle même. Si un individu vous frappe et que vous lui demandez des comptes et que ce dernier vous répond "Je fais ce que je veux", le champ du débat se restreint considérablement. A vous en conséquence de ne pas ajouter la stupidité à l'inattention en continuant sur le ton de la courtoisie. Une règle militaire simple veut qu'un adversaire qui se risque à attaquer un acteur Y et y perd deux fois plus d'effectifs que sa cible cesse rapidement ses assauts. La République connaît bien Clausewitz. Elle avance tant qu'elle détruit son ennemi par un engagement ascendant de force brute. Les bretons gagneraient en temps et en capacité d'expertise en lisant cet illustre militaire allemand qui inspire la stratégie française depuis si longtemps. La République Française a effectivement admis la liberté des peuples dont celui du peuple vietnamien, mais cela seulement après Waterloo et Dien Bien Phu.

La France républicaine et jacobine a fait ce qu'elle a voulu en Bretagne. Elle l'a tué, pillé, brûlé, liquider ses libertés, acheter ses élites, détruit son génie particulier, corrompu sa jeunesse, armé des bandes de renégats pour la diviser, saigné économiquement, détruit écologiquement, entraîné dans des guerres pour lesquelles notre pays n'avait aucune raison de participer. Elle a persécuté un peuple et continue de l'opprimer culturellement, politiquement, économiquement. Cette oppression est si aboutie que le peuple lui même est très majoritairement satisfait de son sort d'esclave. La République a d'abord liquidé la France avant de s'imposer, la France des pays et des peuples. L'occitan a été aussi persécuté que le breton. Aujourd'hui le champ de ruine culturel et social qu'est la république aboutie ne laisse aucun autre constat que celui de son fanatisme et de son impasse. Il apparaît donc comme une évidence que ce ne sont pas des réclamations polies, même au niveau européen, qui engendreront un changement de politique de sa part vis à vis du peuple breton. Ces revendications juridiques et historiques sont sérieuses mais n'auront de poids réel dans des négociations que si cela recoupe le sérieux d'une lutte populaire. 

Le nationalisme pose qu'à la révolution française doit s'opposer un front breton pour la création d'une nation bretonne, un front dont la base doctrinale serait la défense des libertés bretonnes, la renaissance de la culture de notre peuple ainsi qu'une prise en compte de la réalité idéologique de notre ennemi dans nos méthodes et actions mais aussi dans notre dialectique. Le nationalisme breton est un projet révolutionnaire à l'image du sionisme. S'il ne l'est pas, il sombre dans le provincialisme d'ancien régime qui ne fait de mal à personne et qui n'est pas séditieux pour un lur. Son idéal est "Breizh", projet de refondation nationale et spirituelle sur base ethnique et sociale, et non pas la vénération de la litanie des images d'Epinal de la Bretagne de l'Union Régionaliste Bretonne (aussi vénérable soit-elle) ou des maronniers du "mouvament berton". 1532, 1488, 1789...Il ne devrait plus y avoir de débat sur la réalité historique bretonne depuis longtemps. C'est péché par modération que de s'acharner dans cette voie du souvenir pieu. Nous avons passé le cap de la différenciation depuis longtemps. Nous n'avons plus à justifier ce que nous sommes, c'est faire accroire que nous doutons de nous mêmes. Trop nombreux sont ceux qui veulent faire connaître l'originalité bretonne au lieu d'en assurer la survie en agissant politiquement contre la République Jacobine. C'est la marche vers la libération qui doit nous occuper. Les revendications régionalistes sont des étapes obligatoires, mais pas des fins en soi. A ne plus parler de nation bretonne comme concept contemporain, d'idéal breton et celtique post moderne, de modèle social et culturel particulier et novateur, on se contente de vouloir changer le contenant sans toucher au contenu. La Bretagne contemporaine pour les nationalistes est une calamité, Breizh est une espérance. C'est cet élan vers une Bretagne nouvelle et totale qui fait la différence, sans pour autant couper le militant national des questions immédiates et concrètes du combat breton qui peuvent recouper des inquiétudes régionalistes. Sans audace ni ambition, sans imagination ni rupture, la Bretagne ne pourra pas se défaire de sa médiocrité actuelle. Aussi est il temps de passer de Théodore Botrel à la révolution bretonne, sociale et nationale. Il est temps aussi de ne plus mendier. A partir du moment ou on ne veut pas de nous, nous n'avons pas besoin de nous faire désirer?

"Les bretons sont gentils", mais cette gentillesse nous a coûté cher et il est grand temps de liquider ce luxe. Les fédéralistes voit dans l'état français une entité réformable. Les nationalistes eux pensent que la République Française est un bloc qui ne discute pas et qui de fait impose le rapport de force. C'est également notre conviction. Réclamer dans le cadre historique français la restauration d'une situation antérieure, c'est ne pas comprendre que le processus révolutionnaire français est acquis et définitif. Il a par contre l'intérêt d'apporter un contraste entre hier, aujourd'hui et le futur possible. La France jacobine n'est pas une erreur de l'histoire, c'est une conséquence logique d'une décadence générale. La France a accouché de la révolution jacobine en toute cohérence. Avant Robespierre il y avait Louis XIV. Que faire donc face à une entité qui ne vous écoutera jamais, ne croit qu'à la terreur et l'oppression, vous étouffe tous les jours un peu plus ? La résistance concrète, immédiate, intelligente. On ne demande pas à un tortionnaire de serrer le noeud un peu moins fort au motif que la bienséance l'exige: on lui règle son compte à la première occasion.

La volonté nationale bretonne, volonté de vivre libre en respect de la tradition du pays, doit au contraire incarner la "contre-révolution française". Elle suppose doctrinalement de rompre avec l'héritage français et dans la pratique de rivaliser de pragmatisme. C'est pourquoi, en termes de communication, l'idée de Louis Mélennec est positive, mais en termes politique elle est insuffisante et renforce le besoin d'une organisation nationaliste forte, débarrassée des illusions d'une France réformée, et qui grâce à une plate forme sociale et nationale adéquate engage la formation d'un front nationaliste cohérent qui ne pratique que le rapport de force avec l'ennemi.

La stratégie nous pousse donc à diviser le camp entre nationaux et réformateurs, les seconds pouvant être d'utiles auxiliaires contre la République, mais certainement pas le noyau dur de la renaissance nationale. Il faut donc créer une nation bretonne sur les bases du peuple breton et de son histoire, engager concrètement la destruction de la francité en Bretagne par étape progressive, nationaliser les masses bretonnes enfin en s'engageant sur le terrain social et économique sans toutefois tomber dans des débats piégés par les politiciens français en Bretagne. Pour ce faire un parti national breton doit s'imposer, s'organiser autour de la langue nationale qu'est le breton, s'en prendre aux ennemis immédiats des derniers bastions de la bretonnité tout en faisant valoir socialement un nouveau point de vue breton. Les patriotes doivent s'accorder sur ces questions. Si la gauche, le centre et la droite bretonne s'entendent sur une base minimale de revendications pour la survie du peuple et la création de la nation, quelque chose de nouveau apparaîtra alors. Il est tout à fait surréaliste qu'en 2008, des nationalistes bretons passent le plus clair de leur temps à se haïr plutôt qu'à coopérer, même à minima, sur des enjeux qui engagent notre peuple dans sa survie. Breizh a besoin d'un personnel politique efficace, c'est à dire adulte, audacieux, insolent et créatif.

Cette réalité là est la plus urgente, si l'on veut pouvoir opposer un front concret à la France jacobine.